Quand on pense transmission familiale on pense héritage, patrimoine, ou encore la transmission de valeurs morales, d'un certain sens de l'humour, d'un sport que l'on pratique ou d'une façon de concevoir les vacances. En somme, il s'agit surtout de transmissions positives ou sans grande conséquence. Pourtant, les secrets de famille occupent une grande place dans la liste des transmissions familiales et en constituent un aspect négatif. Leurs conséquences sont importantes et peuvent agir sur plusieurs générations.
Qu'est-ce qu'un secret de famille ?
Le secret est une information vraie, réelle qui est non-dite et que l'on ne peut pas faire connaitre. Ce secret, on le construit pour conserver l'équilibre de la famille et pour sauver les apparences. Il n'est pas forcément le résultat d'une décision. Les secrets de famille se fabrique à force de ne pas en parler, parce qu'il met l'intéressé(e) et sa famille dans une situation gênante, voire de honte ou d'humiliation. On s'interdit d'en parler, on interdit de le dire à l'extérieur du cercle familial et c'est ainsi qu'il nait et qu'il se transmet : par la voix du non-dit.
Comme nous l'apprend la psychogénéalogie Il se perpétuera sur plusieurs générations, trois en moyenne et jusqu'à cinq générations. Au delà le secret est oublié de tous et ne subsistent que quelques traces infimes et invisibles dans l'inconscient des descendants.
La première génération subit le traumatisme et le dissimule, c'est la genèse du secret. La deuxième génération ressent confusément que quelque chose s'est produit, c'est un sentiment indicible mais prégnant, comme une « anomalie ». Déjà le secret est agissant, il empêche ceux qui les ressentent, et les installe dans une sorte de malaise, de mal-être.
A la troisième génération des symptômes apparaissent qui ne trouve aucune solution ou explication. Le symptôme s'installe sans qu'aucune raison ne soit trouvée. Ces symptômes prennent l'allure de Troubles Obsessionnels Compulsifs (T.O.C) et particulièrement ceux qui impliquent des rituels de vérification, des addictions diverses, au jeu, à l'alcool, des troubles du comportement alimentaire (Boulimie, Anorexie, addiction au sucre), des angoisses inexpliquées ou des doutes.
Quels sont ses secrets ?
Les secrets de famille portent toujours sur un évènement ou un fait qui suscite la honte et/ou la culpabilité et est toujours associé à des émotions douloureuses. Un traumatisme qui soulève trop d'émotions, trop de questions et qu'il est préférable de cacher, de dissimuler.
Ainsi pour le plus grand nombre, les secrets de famille portent sur la question de la filiation : un père qui n'est pas le père biologique, un enfant caché, des mésalliances comme pendant la seconde guerre mondiale, des enfants nés de liaisons extra-conjuguales. Ensuite viennent les secrets en lien avec le sexe : le viol, l'inceste ; puis ceux liés à l'argent : licenciement, dettes, revers de fortune; les mœurs : double vie, et enfants hors mariage ; les secrets liés à l'Histoire : la collaboration, la déportation, la guerre d'Algérie; la mort : le suicide, le meurtre, les avortements, les enfants morts-nés ou décédés en bas âge ; enfin les maladies, particulièrement les maladies mentales, les « fous », les « simples d'esprits ou les innocents comme on les appelait il y encore quelques décennies. Il s'agit donc d'événements douloureux, traumatiques, qui sont passés sous silence et deviennent des non-dits.
Le Secret en héritage
Si le secret de famille pèse dans l'esprit de ceux qui le détiennent, il pèse aussi et lourdement, dans l'inconscient de leurs enfants. Les histoires de filiation et des origines sont très souvent au cœur des secrets de famille : par exemple, on a du mal à dire à l'enfant que son père n'est pas son père biologique, ou qu'un enfant a été adopté ou qu'il est né d'un donneur.
A une certaine époque, les jeunes filles qui tombaient enceinte hors mariage, étaient considérées comme la honte de la famille et étaient forcées de se marier rapidement, parfois avec le premier venu, pourvu qu'il reconnaisse l'enfant « bâtard ».
D'autres enfants, dont les mères sont tombées enceinte très jeunes, ont été élevés par les parents de la jeune fille, comme si c'était leur propre enfant. L'enfant ainsi trompé, considérait ses grand-parents comme étant ses parents, et sa mère comme sa soeur. Dans ces cas précis, les enfants sentent bien que quelque chose « cloche » et ont l'impression d'être dans une inquiétante étrangeté et de ne pas être totalement complet.
Les enfants dont les parents ont un secret sont confrontés au ressenti d'une anomalie, d'un vide à l'intérieur d'eux-même qu'ils ne peuvent pas combler. L'enfant que le secret de famille affecte est privé par sa famille, d'une part importante de son identité, de sa légitimité, de sa sécurité, de sa place dans la famille et dans la société.
L'enfant sait, mais il ne sait pas qu'il sait. Les inconscients communiquent, à notre insu bien sûr. Comme disait Francoise Dolto, à propos des secrets de famille : « Dans une maison, les chiens et les enfants savent tout, toujours, surtout ce qui n'est pas dit »
L'héritage invisible
Quels sont alors les mécanismes de transmission qui sont à l'oeuvre au fil des générations? En effet, puisque l'événement est tût, ce sont les émotions qui sont liées au traumatisme qui se transmettent. Ces émotions sont perçues par les enfants affectés par le secret, qui ne sont pas capables de les penser, puisqu'il n'en ont aucune idée.
Souvent, on demande aux personnes qui viennent de découvrir un secret dans leur famille et qui les concerne directement pourquoi il n'ont pas questionné leurs parents ou d'autres membres de la famille, plus tôt. Mais comment auraient-ils pu questionner sur un sujet dont ils n'avaient même pas conscience?
Ce que les enfants ressentent comme incongrues ce sont les manifestations du secret dans leur famille. Par exemple des silences sur des sujets de conversation, des anniversaires ou des fêtes que l'on ne célèbre pas, des émotions inadaptées dans certaines situations, des lieux ou l'on ne va jamais, des parents que l'on ne visite jamais ou des prénoms ou des mots que l'on ne prononce pas.
Une empreinte est ainsi créé de façon très précoce dans l'inconscient des enfants dont les parents sont à l'origine d'un secret de famille. Cette empreinte restera dans la mémoire psychique et dans la mémoire du corps.
Selon Serge Tisseron, psychanalyste et spécialiste des relations familiales, les secrets de famille sont des informations sensibles, personnelles et parfois même douloureuses.L'enfant comprend que quelque chose ne va pas mais il comprend aussi qu'il ne doit pas en parler. Alors, forcés de combler ce trou, ce vide dans leur histoire, les enfants imaginent toujours le pire, le fantasme surpassant souvent et de loin la réalité.
De plus, l'enfant est comme une éponge émotionnelle, surtout lorsqu'il est en bas âge ressent la charge émotionnelle de ses parents et il se sent coupable des dysfonctionnements émotionnels de ses parents. Cette culpabilité s'engramme chez l'enfant et devient un mécanisme de défense, comme un réflexe qui se répétera dans toutes les situations de sa vie, tant que dureront les effets du secret. Tout ce qui n'est pas dit est répété dans nos actes à défaut de nos paroles.
Devant tant d'incompréhension, de conséquences aggravantes, on se dit que dévoiler le secret est l'unique solution pour réparer une situation traumatique aux conséquences graves.
Faut-il révéler les secrets de famille ?
Il est important de ne pas révéler un secret de famille sans le consentement des personnes concernées. Il est primordial de comprendre que les secrets de famille peuvent avoir des conséquences à la fois positives et négatives et doivent donc être gérés avec soin. Selon Anne Ancelin Schützenberger, psychologue spécialiste des relations familiales et pionnière de la psychogénéalogie, les secrets de famille peuvent être un facteur important dans la façon dont les membres de la famille interagissent. Elle explique que les secrets peuvent créer des sentiments de confusion, de culpabilité, de méfiance et de trahison, qui peuvent avoir des conséquences négatives sur les relations entre les membres de la famille. Elle souligne également l'importance de communiquer ouvertement avec les membres de la famille et de ne pas révéler des secrets sans leur consentement.
Si vous décidez de révéler un secret de famille, il est important de le faire avec soin et avec respect. Assurez-vous d'abord que les personnes concernées sont d'accord pour que le secret soit partagé et que leur vie privée et leurs sentiments soient pris en compte. Si possible, discutez avec les membres de la famille avant de révéler le secret et expliquez-leur pourquoi vous devez le faire.
Il y a d'indispensables précautions à prendre avant de révéler un secret de famille. N'oubliez jamais qu'au secret est liée la douleur, la souffrance d'une émotion traumatique. C'est pourquoi il est fortement déconseillé de pratiquer des révélations sauvages sans préparation en amont de la personne à l'origine du secret, autant que des personnes qui vont l'entendre. La personne qui détient le secret et surtout lorsqu'elle a vécu personnellement le traumatisme, doit se faire accompagner par un thérapeute avant de révéler son secret, pour se dégager de la charge émotionnelle qui y est associée et ce afin de ne pas la déverser sur celui, celles ou ceux à qui elle va le révéler.
Il est crucial que les familles à secret comprennent l'impact et les conséquences des non-dits sur les générations futures. Les traumatismes non digérés et dissimulés finissent toujours par ressurgir par l'un ou l'autre des descendants, comme la fissure sur le mur d'une maison centenaire, que l'on recouvre de peinture d'une génération à l'autre. L'important c'est de comprendre ce qui dans l'histoire familiale, replacée dans le contexte de l'époque, à été à l'origine de ces fissures.
